Dans mon cas personnel, dès que j'ai eu entre les mains les résultats sans appel de mon azoospermie, mon premier réflexe a été d'appeler ma mère, pour la questionner sur ma venue au monde ou mon enfance : les difficultés qu'elle avait eu pour m'avoir, les traitements qu'elle avait pris, les maladies que j'avais eu, les accidents de cours d'école (coup de pied dans les testicules, etc).
Sans qu'elle ne comprenne tout de suite la raison qui me poussait à lui poser toutes ces questions, un mot est tombé dans la conversation, avec le poids d'une enclume : "distilbène". Victime de fausses couches à répétition, son gynécologue de l'époque lui avait prescrit ce produit aussi inefficace que dangereux pour les enfants qui allaient naître des femmes à qui on l'avait administré.
Quelques semaines plus tard, lorsque j'ai expliqué à ma mère la raison qui me poussait à lui poser la question, elle a fondu en larmes, prise d'un remord incommensurable d'avoir accepté ce médicament qui, comble de l'ironie, était présenté comme le seul recours pour réussir à me faire venir au monde.
Pour d'autres mères, ce n'est pas aussi simple : soit elle ne se souvient plus des produits qu'on leur avait donné, soit elle ne s'en souvient que trop bien, et peut développer une sorte de culpabilité exacerbé, comme si elle voulait cacher un crime odieux. C'est une situation psychologiquement complexe qui peut déboucher sur de graves problèmes relationnels entre mère et fils.
Comme en témoigne Jacques (le prénom a été changé) dans l'interview qu'il a bien voulu m'accorder sur ce sujet. C'est le témoignage d'un homme, touché de plein fouet par l'infertilité, et qui cherche des réponses sur les raisons de son état, comme un détective recherche la vérité. Et ce n'est pas toujours que le distilbene que l'on trouve sur son chemin.
Vous êtes l'un des rares hommes à m'avoir contacté par l'intermédiaire de mon site père malgré tout. Pouvez-vous nous expliquer le sujet qui vous a amené à me contacter ?
Après 4 ans d’essais infructueux avec mon épouse pour avoir un bébé, nous avons appris au travers de différents examens que j’étais stérile à plus de 99%. Plus précisément, on m’a annoncé que j’étais OATS sévère (l'oligospermie, la tératospermie, l'asthénospermie et l'oligoasthénotératospermie sont ici réunies). Plus de chance de gagner au loto que d’avoir un enfant naturellement.
Passé le choc de la nouvelle, nous en avons parlé aux familles. Ma mère a de suite évoqué oralement avoir pris du Distilbène. Sur le moment, nous n’avons pas relevé cet élément mais par la suite nous avons voulu en savoir plus.
Peu de témoignages masculins retrouvés sur internet, peu d’études faites sur les hommes, difficile de trouver des réponses à mes questions. Et je suis enfin tombé sur votre site, lu les grandes lignes de votre histoire et j’ai découvert que vous étiez un enfant Distilbène et votre combat dans le parcours PMA. Je me suis dit que nos profils se ressemblaient et que vous pourriez peut être m’apporter des éléments de réponse.
Pouvez-vous nous raconter votre histoire et la problématique que pose le Distilbene aujourd'hui ?
Le distilbène est automatiquement associé aux filles nées suite à la prise de ce médicament avec notamment des malformations utérines importantes. J’ai interrogé de nombreux médecins, contacté des organismes mais la plupart n’ont même pas daigné me répondre, comme si lever le voile sur une possible incidence masculine allait déclencher un scandale. Même si bien sûr connaître les effets d’un tel médicament sur mon état actuel ne me rendra pas d’un seul coup ma fertilité, cela permet de poser un nom sur le problème.
Après avoir pu récupéré une partie du dossier médical de ma mère, nous avons découvert qu’il n’y avait pas de trace de Distilbène dedans. Seulement, un autre médicament, pris par ma mère dès son 2ème mois de grossesse en raison d’un risque de fausse couche, a retenu notre attention : le GRAVIBINAN.
De suite, nous avons entamé des recherches mais assez rapidement, rien. Ce médicament est très peu connu par les professionnels de santé. Nous avons pu obtenir quelques informations de la pharmacovigilance : ce médicament a été retiré du marché depuis de nombreuses années.
Nos recherches personnelles nous ont permis de découvrir que ce médicament avait longtemps été donné aux transsexuels désireux de changer de sexe et que cela altérait de façon définitive leur spermatogenèse. Il n’est pas difficile d’imaginer les effets de telles molécules sur un fœtus en développement… La gynéco de ma femme a confirmé que la composition de ce médicament n’était vraiment pas top et que même si ce n’était pas LE Distilbène, ça n’en restait pas moins une cochonnerie…
Aujourd’hui, après deux transferts d’une FIV ICSI et deux débuts de grossesse, ma femme sort à peine de la 2ème fausse couche qui a nécessité une aspiration d’urgence à l’hôpital après hémorragie. Nous essayons de garder espoir mais nous ignorons totalement si nos efforts seront un jour récompensés.
Pourquoi est-ce tellement important pour vous de connaître l'origine de vos problèmes d'infertilité ?
Aujourd’hui, je sais donc les raisons de mon état. En effet, je n’ai jamais fumé, je ne bois pas, je ne suis pas exposé à des substances dangereuses. Je n’ai plus cette torture mentale de me demander : pourquoi suis-je comme ça ? Et surtout, je sais maintenant que mon problème n’est pas traitable. Pas la peine de se tuer à chercher des traitements, je suis né ainsi, il faut que j’apprenne à vivre avec.
Et puis, ça permet aussi de faire taire les personnes toujours mieux informées que soi et qui nous tiennent des discours du genre « c’est dans la tête, arrêtez d’y penser, ça viendra naturellement, etc… » La mécanique fonctionne très bien, la tête aussi, c’est la production qui n’est pas bonne !
Est-ce que la découverte du traitement au Distilbène a modifié votre rapport avec votre mère ?
Oui car après avoir évoqué oralement la prise de Distilbène, elle a nié totalement en avoir pris. Elle a rendu l’accès à son dossier médical de l’époque assez compliqué. Son gynécologue a refusé de nous recevoir avec elle dans son bureau. Ils ont photocopié ensemble certaines parties du dossier et nous avons pu entrer dans le cabinet que 10 min plus tard. Tout nous a-t-il été communiqué ? Je ne le saurai finalement jamais.
Je pense qu’elle avait vraiment peur qu’on découvre dedans une trace de ce fichu médicament et qu’elle ait l’étiquette : « mère qui a pris du Distilbène ». Nos relations ne seront plus vraiment les mêmes car elle n’a même pas voulu informer ma propre sœur, qui n’a pas encore d’enfant, des risques potentiels auxquels elle était exposée si jamais la prise de Distilbène était confirmée.
Pourtant, jamais je ne lui ai reproché la prise de tels médicaments et ne le ferai jamais. .
Finalement, dans tout ça, la seule chose que je pourrai lui reprocher, c’est de ne pas m’avoir soutenu dans cette quête de la vérité en me laissant me ronger un peu plus chaque jour…
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